(Chronique de François Reynaert - "Le Nouvel Observateur")
Parfois de simples mots peuvent vous trouer les oreilles.
Prenez cette histoire du moment, la réforme des retraites. Je n'entre pas dans le fond du débat. Il faut remettre tous les régimes de niveau, tout le monde semble d'accord là-dessus. Non, on ne peut plus continuer à accorder à certains des avantages obtenus au nom de la pénibilité de leur travail quand leur travail a tant changé. On lit cela partout et en effet les exemples de professions dans ce cas abondent.
Prenons-en une parmi tant d'autres : Premier ministre. Souvenez-vous, sous la V` République, Premier ministre en période de réforme, c'était comme mineur de fond avant le coup de grisou : un pauvre travailleur solitaire lancé avec sa petite pelle dans les profondeurs sinistres du pays réel, où il devait attendre en tremblant l'éventualité d'une explosion sociale. Sous Sarkozy, Premier ministre en période de réforme, c'est toujours comme mineur de fond, mais après le coup de grisou : songez à François Fillon. Ça fait maintenant quatre mois qu'on l'a oublié dans un boyau et qu'il n'a plus donné signe de vie. On ne voit pas pourquoi on lui accorderait je ne sais quel passe-droit pour obtenir sa retraite plus tôt que les autres, il a commencé à la prendre le jour où il a occupé son poste !
Oui, je pourrais m'étrangler de voir la droite arguer aujourd'hui de l'impérieuse nécessité de ces réformes sociales à cause du manque d'argent dans les caisses après qu'elle ait passé un été à jeter des milliards à tous ces Français qu'il était si urgent d'aider : les assujettis à l'ISF, le grand patronat, les multimilliardaires.
Mais pourquoi vous en reparler, notre ami Jacques Julliard a fait un édito remarquable sur la question dans le dernier "Nouvel Obs". Et puis je ne veux pas faire de mauvais esprit là-dessus. Je le sais bien, il ne faut pas tout confondre, ce fameux paquet fiscal n'a rien à voir avec les comptes sociaux, cet argent était censé produire un gros choc salutaire pour notre économie. Il aura surtout été un gros choc sans provision qui a creusé un peu plus nos déficits et nous a valu des réprimandes de l'Union européenne, mais on ne va pas s'arrêter à ça.
Si Bruxelles et Francfort ne sont pas contents, on a la solution, maintenant on leur balance une conférence de presse de Kouchner. "Nous n'excluons pas le pire, même la guerre", vous voyez l'idée ? Avec Hervé Morin en treillis dressé sur une tourelle de char en face du Parlement de Strasbourg, ça va les calmer, les scrogneugneuropéens, croyez-moi.
Oui, ce paquet fiscal était moralement scandaleux, mais de fait, certaines mesures étaient présentées avec un humour irrésistible. J'ai adoré, par exemple, le volet portant sur l'exemption des droits de succession. Vous vous souvenez ? Mme Lagarde a passé son mois de juillet à le répéter : "Nous avons supprimé ces droits pour 95% des Français." Quel chiffre merveilleux, non ? On aurait dit un Audimat d'un "Joséphine, ange gardien", c'est vous dire à quel point le pourcentage était fédérateur et gentillet.
Elle oubliait de préciser un détail : les droits n'existaient déjà pas auparavant dans 89% des cas. C'est impayable, non ? Un superbe cadeau de plus concernant environ 20 000 familles pleines aux as, déguisé en action quasi caritative, c'était fort. Vous me direz, l'avantage avec les manips portant sur les héritages, c'est que le jour où les gens se rendent compte qu'ils se sont fait avoir, ils sont d'un moindre danger politique : sinon peut-être en Corse, les morts ne votent que rarement.
A propos des retraites, je ne vous dirai rien d'autre que vous ne pensiez déjà, simplement quelquefois les mots frappent particulièrement.
Ainsi, l'autre jour, le mot "d'équité" répété en boucle par le président de la République lors de son discours au Sénat présentant sa politique sociale. C'était extraordinaire. Entendre le yachtman de l'Elysée, l'obligé des multimilliardaires, le type qui vient de distribuer 11 milliards (rien que pour 2008) aux nantis parler "d'équité" pour dresser la petite caissière de Monoprix contre un pauvre cheminot en retraite à 1200 euros par mois, ça reviendrait à entendre un de ses amis exilés fiscaux, depuis son chalet suisse de cinquante pièces, faire la morale à un sans-papiers malien affamé parce que c'est très mal de quitter son pays.
François Reynaert
in "Le nouvel Observateur"
27 09 07