Chômage et heures sup :
au royaume d’Ubu
Par Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques et auteur de « Sommes-nous des paresseux ? Et trente autres questions sur la France et les Français » aux éditions du Seuil
Le 21 août dernier, Christine Lagarde, Ministre de l’économie, se félicitait du succès de la loi TEPA, et tout particulièrement de son volet heures supplémentaire (1). Une semaine plus tard, l’ANPE confirmait la remontée du chômage au mois de juillet (2). Quantitativement le succès des heures supplémentaires détaxées est indéniable mais, dans le contexte économique actuel, il traduit une politique digne des Shadoks ou du père Ubu. Face au risque de récession le gouvernement devrait au contraire revenir d’urgence sur une mesure qui aggrave la situation de l’emploi.
Le nombre des heures supplémentaires déclarées - 182 millions au second trimestre 2008 - s’est accru de 6 % par rapport au premier trimestre 2008 et de près de moitié par rapport au premier trimestre 2007. Du coup, les exonérations correspondantes ont déjà coûté 1 355 millions à la Sécurité sociale sur les six premiers mois de l’année, auxquelles il faut ajouter les pertes d’impôt sur le revenu pour le budget de l’Etat. Soit un coût total estimé à 4 milliards d’euros en 2008 pour les finances publiques par Christine Lagarde. Quasiment la moitié du déficit de la Sécurité sociale cette année. Une politique qui profite surtout aux plus grandes entreprises : 85 % des entreprises de plus de 2000 salariés ont eu recours à ce dispositif contre moins du tiers des entreprises de moins de dix salariés (3).
Parallèlement, l’INSEE vient d’annoncer un recul du PIB de 0,3 % au second trimestre 2008 et la perte de plus de 12 000 emplois dans le secteur concurrentiel pour la première fois depuis début 2004. Avec en particulier un recul de 45 000 postes d’intérimaires, signe que la dégradation de l’emploi ne fait probablement que commencer : si l’activité n’a pas reculé davantage au second trimestre 2008 c’est notamment parce que les entreprises ont gonflé leurs stocks à hauteur de 0,3 points de PIB, une tendance qui n’a aucune chance de se poursuivre.
De plus la productivité a baissé parallèlement de 0,5 % dans l’économie française, indiquant que les entreprises ont retardé l’ajustement à la baisse de leurs effectifs. Côté emploi, le pire est donc probablement à venir. Côté chômage, les derniers chiffres de l’ANPE confirment sa remontée. Le nombre des chômeurs de catégorie 1 (4) n’a certes encore progressé que de 11 000 personnes depuis avril dernier. Mais le nombre total des inscrits à l’ANPE (en dehors de ceux qui ont un emploi et en cherchent un autre) a bondi de 39 800 personnes en l’espace d’un mois, de juin à juillet. L’impact de cette hausse sur le chiffre officiel du chômage a été limité parce que le nombre des demandeurs d’emploi envoyés en formation (et donc retirés de cette statistique) s’est accru lui aussi de 25 000 personnes en un seul mois... Cette quasi stabilité ne devrait de toute façon malheureusement pas résister à l’arrivée massive cet automne des nouveaux diplômés sur un marché du travail très déprimé : c’est déjà surtout chez les moins de 25 ans que la remontée du chômage est sensible.
De plus le gouvernement veut restreindre à partir de 2009 l’accès au dispositif « carrières longues », permettant aux salariés de plus de 56 ans qui ont commencé à travailler très tôt de partir en retraite avant 60 ans. Une initiative qui devrait contribuer à aggraver significativement la situation du marché de l’emploi dans la mesure où c’était pour une bonne part le succès inattendu de ce dispositif qui explique la rapide décrue du chômage ces dernières années.
A quoi vont s’ajouter les effets de la toute nouvelle loi « portant rénovation de la démocratie sociale et réforme de la durée du travail » votée au début de l’été qui multiplie encore les possibilités de faire faire des heures supplémentaires et d’allonger le temps de travail des salariés en « forfaits jours ».
Bref, en période de croissance relativement rapide et de baisse du chômage, comme c’était le cas en 2007 lorsque Nicolas Sarkozy est devenu président de la République, il était déjà étrange d’inciter, avec force argent public, les entreprises à faire faire des heures supplémentaires aux salariés déjà en poste plutôt que d’embaucher des chômeurs ou des jeunes qui sortent de l’école. Alors qu’avec 8,5 % de chômeurs en juillet 2007, la France se situait toujours dans le peloton de tête du chômage au sein de l’Europe des 27, précédée seulement par la Grèce, la Pologne et la Slovaquie…
Mais aujourd’hui, il est tout simplement surréaliste de se féliciter de l’accroissement de ces heures supplémentaires. Un petit calcul de coin de table illustre l’absurdité d’une telle démarche dans le contexte actuel : un emploi salarié coûtait en 2007 41 000 euros en moyenne en France. Au lieu de dépenser 4 milliards d’euros avec comme résultat de dissuader les entreprises qui le pourraient d’embaucher, l’Etat pourrait donc, avec la même somme, financer entièrement 100 000 emplois supplémentaires ou encore, avec une subvention correspondant au tiers de leur coût, 300 000 de plus...
Si les pouvoirs publics doivent aider des gens à « travailler plus pour gagner plus », qui pourrait contester que ce soient d’abord les chômeurs, dont le nombre augmente de nouveau, qui doivent en priorité profiter de cette aide ?
Christine Lagarde et Nicolas Sarkozy ne sont, bien entendu, responsables ni de la crise des subprime, ni de la hausse des prix du pétrole et des produits alimentaires. Et donc a fortiori de la récession qui menace désormais la France et l’Europe. Mais dans un contexte profondément transformé par rapport à celui de l’été 2007, il n’est pas interdit de ranger l’idéologie au placard et de faire preuve d’un peu de pragmatisme...
Errare humanum est, perseverare diabolicum, disait-on autrefois...
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